Focus sur les œuvres acquises pour l'exposition Silhouettes

 

Au cœur de l’exposition Marc Desgrandchamps – Silhouettes se trouvent les deux œuvres acquises récemment par le musée. Parmi les 47 toiles exposées, il s’agit d’un diptyque de 2020 en référence à La Flagellation du Christ peinte par Piero della Francesca et d’une toile datant de 2012 offerte par l’artiste qui évoque la culture Mod née à Londres dans les années 1950, thème cher à Desgrandchamps.

 

Zoom sur ces deux œuvres d'exception avec Marc Desgrandchamps ! 

 

 

 

Sans Titre, 2020

 

 

Dans un cadre architectural sobre, deux silhouettes féminines dont on ne devine pas les visages contemplent une statue drapée. Leur allure contemporaine – jeans, baskets, téléphone a la main – peut faire penser à deux visiteuses dans un monument. Pourtant, comme souvent chez Marc Desgrandchamps, la scène est d’une simplicité trompeuse. A mesure qu’on regarde le tableau, elle se fait plus opaque. L’architecture est loin d’être anodine. Il s’agit d’une reconstitution de l’espace peint par Piero della Francesca dans la célèbre Flagellation du Christ (vers 1460).

 

Ce tableau est l’un des plus célèbres et des plus énigmatiques de la première renaissance italienne. Il a fait l’objet de nombreux commentaires et interprétations. Sa construction géométrique extrêmement rigoureuse se double d’une symbolique cryptique et témoigne d’une conception savante de la peinture. Deux scènes – et d’après certains commentateurs, deux temporalités – sont juxtaposées. La flagellation du Christ, d’après le récit biblique, prend place sous les arcades d’un patio de marbre, tandis que trois personnages dont l’identité reste incertaine sont plongés dans une conversation au premier plan. Depuis ses premières œuvres, Marc Desgrandchamps traite de sujets mythologiques et bibliques mais les références sont rarement aussi directes qu’ici.

 

A l’origine, il envisageait de faire une copie fidèle du panneau de Piero della Francesca. Mais une fois le cadre architectural pose, il y a introduit un autre espace-temps en faisant figurer des personnages actuels et une sculpture acéphale. Les deux femmes sont peintes d’après des photographies de proches de l’artiste tandis que la sculpture est tirée d’un bas-relief du Trésor des Athéniens de Delphes. Le personnage le plus contemporain n’est pas celui qu’on croit. Il s’agit de la silhouette a la fenêtre de l’édifice rose, petite figure confinée qui fait écho aux mesures de lutte contre l’épidémie de covid-19 en 2020.

 

Ce télescopage de sources aux temporalités différentes est révélateur de la manière dont Desgrandchamps s’approprie les images, laissant jouer l’aléatoire et le hasard dans la construction de ses œuvres. Il ne travaille pas d’après un programme fixe à l’avance mais tisse au fur et à mesure des liens entre des sources hétérogènes qui produisent des séquences narratives. Toutefois, comme chez Piero della, Francesca, le cadre architectural crée un espace scénique qui influe sur la narration. On peut ainsi imaginer une relation ou un dialogue entre la statue et la silhouette drapée de noir. La femme en bleu, en dehors de cet espace, rejoue le rôle des témoins chez Piero della Francesca. Il est difficile de dire si elle documente la scène qui se joue devant elle ou si elle s’absorbe dans l’écran de son téléphone.

 

Sans Titre, 2012

 

 

Dans un espace portuaire, une silhouette anonyme, sans visage et translucide, se fond dans un paysage lumineux. L’élégance du costume tranche avec le décor industriel. La composition est complexifiée par des amas de peinture noire flottant à la surface de la toile. Ces formes indistinctes, leitmotiv dans l’œuvre de Desgrandchamps, fonctionnent comme des retardateurs de perception. Elles mettent la scène à distance et ajoutent une épaisseur à la toile. Le cerne blanc autour du personnage fonctionne comme un repentir apparent et relève de la même logique.

 

Sur le mur à droite, les doubles flèches sur fond rouge, la cible de la Royal Air Force ainsi que l’inscription « The young mod’s forgotten story » font écho au mouvement des mod’s. Cette contre-culture anglaise a rassemblé une partie de la jeunesse britannique des années 1950 et 1960 autour d’une passion pour le jazz moderniste (à l’origine du terme mod’s) puis pour le blues et la soul. Excellents danseurs, les mod’s inventaient des pas et des chorégraphies complexes avec lesquelles ils rivalisaient entre eux. Ils s’opposaient également aux adeptes du rock, dans des affrontements parfois violents ainsi que par une guerre du style  vestimentaire et musical. Les mod’s arboraient des costumes élégants, taillés sur mesure si possible, des chaussures luxueuses, italiennes ou anglaises et soignaient leur coiffure.

 

Cette contre-culture fédérait des élites aisées, mais aussi des jeunes de la classe ouvrière qui travaillaient dans des usines ou des ports. Brighton, ville portuaire de la Manche, a été une scène importante pour les mod’s. Ce n’est pas un hasard si Desgrandchamps réunit ces deux atmosphères dans son tableau. Il rend hommage à un dandysme de masse, rendu possible par le développement de la société de consommation, ainsi qu’au Pop Art anglais, notamment à Peter Blake.

 

L’atmosphère fiévreuse de rallyes, des clubs et des fêtes fréquentées par les mod’s imprègne plusieurs films des années soixante en particulier Blow up de Michelangelo Antonioni, référence fondamentale pour Marc Desgrandchamps. Quoique silencieuse et statique, cette œuvre fait état de l’importance de la musique pour Desgrandchamps qui écoute beaucoup de rock, jazz populaire, soul et blues dont l’atmosphère et les rythmes imprègnent ses toiles.

 

 

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